
Le photographe dans la maison
Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’une Résidence artistique à l’EPHAD TER et MER / Ploëmeur en 2014-2015.
Le projet coordonné par l’association Le Cœur à Marée Haute a bénéficié du dispositif DRAC/ARS 2014 et du soutien du Conseil Départemental du Morbihan (DGISS Direction des Interventions Sanitaires et Sociales)
En 2014, j’ai passé quelque mois à me rendre à l’EPHAD Ter et Mer de Ploëmeur. Autrefois on appelait plus simplement ces établissements des maisons de retraite, pour nommer ces lieux qui sont un peu à l’écart de la cité où l’on prend soin des corps en perte d’autonomie. Comme l’hôpital, l’EPHAD est un monde dans le monde.Trop souvent nous n’osons en ouvrir les portes ; peut-être est-ce le rôle du photographe que d’aller voir derrière ce qui s’y passe, de s’immiscer dans ces mondes, il y en a tant qui restent fermés pour renforcer notre cécité.
Un matin d’automne j’ai donc ouvert la porte de l’EPHAD Ter et Mer et je suis allé à la rencontre des personnes âgées qui y vivent, de celles et ceux qui travaillent pour leur apporter quotidiennement du bien-être et des soins : auxiliaires de vie, infirmières, aides soignantes, animatrices. J’étais un peu le photographe dans la maison, celui qui est chargé de montrer la vie, les visages, les moments de bonheur, ceux de souffrance. Ce temps partagé, je l’ai passé à échanger des mots, des paroles, des histoires, mais aussi à regarder, à faire des images.
Au fil du temps elles ont pris différentes formes. Il y a d’abord eu le portrait, quand après une conversation le visage s’offre au photographe comme un témoignage d’humanité. Je conversais avec André Bizien ou Jeanne Kervahut, et dans le même mouvement, le Leica à l’œil, je les photographiais me parlant, cherchant leurs mots pour me raconter leurs vies. Au début du mois de mai 2015, quelques résidents, accompagnés par une partie de l’équipe soignante, s’échappent pour de courtes vacances, hors de la maison, sur la Presqu’île de Crozon. Je décide de les suivre. À Morgat la lumière est belle, le soleil chaud et il y a des rires. Eliane, René, Simone, Raymonde, Bernadette, Roger retrouvent l’espace d’une après-midi l’odeur enivrante de la jeunesse. Au musée de l’école rurale de Tregarvan, l’enfance revient comme une ombre avec les souvenirs des leçons de morale de Jules Ferry et de l’encrier qui tâchait les doigts. Je n’oublie pas non plus tous ces moments, ces espaces, ces objets dans la maison : la salle de télévision où je revois souvent le visage de la présentatrice Sophie Davant, le réfectoire où l’on prend les repas, les ombres projetées dans les couloirs quand un fauteuil roulant se perd au loin, les photographies qu’on accroche au mur ou que l’on garde soigneusement rangées dans des albums. Le matin vers 11h00 c’est l’heure de la revue de presse avec Tiphaine, l’animatrice, qui raconte ce qui se passe au dehors, dans le bruit et la fureur du monde. Parfois on chante ou bien les coiffeuses à domicile enroulent leurs bigoudis pour que l’on se sente encore belles.Et puis pour un photographe aussi soucieux que moi des yeux et du regard, il y a les mains. Ces mains qui m’obsèdent, ces mains qui dessinent, d’image en image, une chorégraphie secrète du lien humain qui va du soin à la tendresse, de l’attention à l’écoute. Les mains sont muettes, comme les photographies, mais elles disent plus que les mots. Elles sont la langue de l’amour.
Toutes mes photographies sont disponibles en tirages (procédé piézographie), signés et numérotés sur papier Fine Art. Pour toute information, me contacter → ici